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Convention collective : interviews croisées de J-F. Bolzinger (CGT) et H.Camus (PEPS)

05/04/2017

Après avoir publié une interview de Patrick Levy-Waitz, responsable de la négociation pour la délégation patronale et Vice-Président du PEPS, le guide du portage vous propose aujourd’hui un regard croisé entre Jean-François Bolzinger, représentant de la CGT très actif lors des négociations, et Hubert Camus qui préside le PEPS depuis 2 ans.

Hubert Camus, Président du PEPS (à gauche) et Jean-François Bolzinger, représentant de la CGT lors des négociations (à droite).

La signature de la convention collective est un événement que personne n’attendait aussi rapide. Comment l’expliquez-vous ?

J-F. Bolzinger : La signature de cette convention collective est le résultat de discussions menées depuis 2010 entre toutes les organisations syndicales et le PEPS, notamment au sein de l’OPPS.

Les organisations syndicales et patronales ayant signé cette convention collective sont les mêmes que celles qui se sont battues pour obtenir l’ordonnance du portage salarial du 2 avril 2015 et la reconnaissance du portage salarial en tant que branche d’activité professionnelle, le 1er décembre 2016.

Ainsi, cette convention collective est la traduction de ce qui avait déjà été débattu depuis plusieurs années. C’est la mise en forme d’un travail sérieux, réalisé avec les vrais acteurs du portage salarial. C’est à la hauteur de la responsabilité que nous avions depuis l’obtention de la création d’une branche dédiée au portage.

H.Camus : Les partenaires sociaux se sont emparés du sujet il y a maintenant plusieurs années, avec l’envie d’aboutir à un encadrement plus précis du portage salarial, qui soit tourné vers l’avenir.

Chacun avait la volonté de converger vers quelque chose de positif pour avancer. Nous étions tous sur la même longueur d’ondes, il n’y avait donc aucune raison que cette démarche soit longue et lente.

Le portage salarial existe depuis 30 ans et les partenaires sociaux sont autour de la table depuis une dizaine d’années. La signature unanime de cette convention collective du portage salarial n’est que la transformation de l’ordonnance du 2 avril 2015, que les partenaires sociaux voulaient finaliser.

 

Cette convention collective a été signée à l’unanimité, ce qui est rare. Comment cela a-t-il été possible ?

J-F. Bolzinger : Une convention collective peut être signée à l’unanimité dès lors que la négociation porte à la fois sur les intérêts des salariés et des entreprises. Lorsque ce n’est pas le cas, c’est en général parce qu’il y a un patronat qui cherche à forcer sur l’intérêt des employeurs, en s’appuyant sur tel ou tel syndicat pour cela.

Nous avons eu une élaboration collective de la convention utilisant les contributions de chacun à l’inverse d’une pratique répandue, où on se contente d’amender un texte patronal. Chacun était conscient que la mise en place d’une telle branche nécessitait que les intérêts de chacun (salariés et entreprises) soient respectés. La négociation a été loyale. Ce sont véritablement les acteurs du portage qui ont négocié.

H.Camus : Nier l’existence de ces nouvelles formes d’emploi serait une folie. Leur encadrement est un événement très positif et tourné vers l’avenir. Nous avons tous pris nos responsabilités afin de ne pas être en dehors des évolutions du monde d’aujourd’hui et de demain.

Les négociations ont certes été rapides ; chaque organisation a voulu, de façon très construite, y mettre sa sensibilité. Le consensus a pu prendre le dessus pour le bien collectif et donc l’unanimité a réussie à être trouvée, parce que chacun a compris les enjeux de cet environnement que représente les nouvelles formes d’emploi en général et le portage salarial en particulier.

 

Le cadre juridique du portage salarial est-il désormais complet ?

J-F. Bolzinger : Rien n’est jamais complet en droit, puisque la tendance est aux “usines à gaz juridiques”. Pour autant, si c’est étendu, c’est un socle solide d’encadrement qui a été fait. Le portage salarial bénéficie d’une base juridique importante, même si d’autres jurisprudences et d’autres éléments viendront sans doute la compléter.

Aujourd’hui, nous pouvons dire que le socle principal du portage salarial sera établi si la convention collective est étendue prochainement, par l’intermédiaire de l’accord de méthode qui sera négocié dans les mois à venir.

H.Camus : Il est rare qu’un texte puisse prendre en considération tous les cas de figure et tout sécuriser en une fois. L’ordonnance a déjà donné des fondations extrêmement fortes au cadre juridique du portage. Les premiers accords de cette convention collective ne font que le renforcer. Nous allons continuer à bâtir au fur et à mesure du temps.

Il serait prétentieux de dire que le cadre est “complet” : il est aujourd’hui très bien encadré. Des évolutions à venir sont toujours possibles et nous sommes à ce jour dans un environnement qui va dans le bon sens.

Il reste encore certainement des éléments à améliorer et des discussions à mener, à commencer par celles qui auront lieu dans l’accord de méthode, sur lequel nous allons nous concentrer dans les semaines et les mois à venir.

 

Selon vous, combien de personnes feront appel au portage salarial dans les 10 ou 15 années à venir ?

J-F. Bolzinger : La forme d’emploi du portage salarial est maintenant stabilisée, d’autant que nous venons de régler la question des techniciens experts, qui était l’un des points faibles des accords de 2010. Dans la configuration actuelle, nous devrions tourner autour de 60 000 à 80 000 portés dans les années à venir, même si cela dépend beaucoup de la situation de l’emploi et de la croissance.

Ainsi encadré, le portage salarial présente un intérêt pour beaucoup de personnes qui rejettent le management coercitif des entreprises, ou qui désirent tester l’entrepreneuriat. C’est aujourd’hui une alternative au régime auto-entrepreneur, qui n’offre pas de garanties en termes de sécurité. Le portage fait partie des formes de travail autonomes et de solidarité mises en avant susceptibles d’intéresser bon nombre de personnes dans les années à venir.

H.Camus : Si l’on se base sur l’étude de XERFI, qui est un organisme indépendant, et si l’on se projette par rapport à leurs prévisions, on peut évaluer que l’on arrivera, à l’horizon fin 2020, aux alentours de 120 000 portés ou plus.

Je pense que le portage va se développer parce que l’indépendant d’aujourd’hui est différent de l’indépendant d’hier. Il a besoin d’un cadre sécurisé, de protection sociale et d’un accompagnement.

Le CDI est encore prédominant en France et pour autant, les habitudes de travail évoluent progressivement. La France n’est pas un pionnier en la matière et à même du retard à ce sujet. Les nouvelles formes d’emploi vont donc se développer petit à petit, parce qu’elles répondent à un besoin.

Nous sommes en développement permanent : le marché évolue aujourd’hui de 15 à 20% par an. Cela concerne de plus en plus de professionnels qui veulent travailler autrement, se repositionner, finir une carrière, ne pas avoir à créer leur entreprise, ne pas dépendre du régime des indépendants, etc. Le portage est l’alchimie d’un certain nombre de besoins et une perspective qui s’offre à ceux qui en font le choix.

 

Avez-vous un mot de conclusion ?

J-F. Bolzinger : Lorsqu’il y a une démarche unitaire permettant de traiter les vraies questions et un travail en commun, nous arrivons généralement à aboutir à un résultat, dès lors qu’il n’y a pas de manoeuvre politicienne qui perturbe les discussions.
Il serait bon qu’une telle démarche prévale pour négocier un encadrement effectif de toutes les formes d’emploi qui naissent autour des plateformes numériques notamment, afin d’assurer une véritable protection aux travailleurs autonomes.

H.Camus : Nous attendons l’extension de cette convention collective, les partenaires sociaux souhaitent voir rapidement l’aboutissement d’un dialogue social constructif.
Le PEPS représente une profession qui a de l’ambition et qui contribue à l’employabilité en France. C’est une chance que nous avons, c’est pourquoi nous allons poursuivre dans ce sens les discussions avec les partenaires sociaux. Je remercie d’ailleurs tous les acteurs pour leurs implications.