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La Directive européenne des travailleurs des plateformes est adoptée !

01/05/2024

La proposition de Directive du Parlement Européen et du Conseil relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme a enfin été adoptée après moult péripéties.

Entre la présomption de salariat et les nouvelles mesures en matière de gestion algorithmique, quelles conséquences concrètes pour les travailleurs des plateformes en France ?

 

travailleur des plateformes - directive européenne

Le 11 mars dernier les ministres de l’emploi et des affaires sociales des pays de l’Union européenne se sont finalement mis au diapason sur l’accord provisoire du 8 février 2024.

Deux volets dans cette directive : la définition d’un statut professionnel des personnes travaillant avec des plateformes d’intermédiation, et pour la première fois dans l’Union européenne, une réglementation sur la gestion algorithmique.

La France aura deux ans pour transposer ce texte dans notre législation, l’ARPE va avoir du pain sur la planche !

Rappelons enfin que cette directive a pour « objectif d’améliorer les conditions de travail et la protection des données à caractère personnel dans le cadre du travail via une plateforme ». Elle traite ainsi trois volets particulièrement intéressants, nous nous attarderons ici sur les deux premiers notamment :

  • L’introduction de mesures pour faciliter la détermination correcte du statut professionnel des personnes exécutant un travail via une plateforme ;
  • La promotion de la transparence, de l’équité, du contrôle humain, de la sécurité et de la responsabilité dans la gestion algorithmique du travail via une plateforme ;
  • Et l’amélioration de la transparence du travail via une plateforme, y compris dans les situations transfrontières.

 

Les Travailleurs des Plateformes : la mise en place d’une présomption légale de salariat ?

La Directive met en place une présomption légale de « relation de travail » des travailleurs des plateformes, conditionnée et réfragable.

En d’autres termes, si certaines conditions sont réunies les travailleurs des plateformes seront considérés comme salariés de cette dernière, à charge pour elle de renverser cette présomption en prouvant que les conditions du salariat ne sont pas remplies.

La Directive précise les deux conditions que doit remplir cette présomption pour s’appliquer automatiquement. On notera que les anciens critères proposés dans le précédent compromis étaient nettement plus contraignants. Désormais, la présomption de salariat sera déclenchée par des faits caractérisant un contrôle et une direction du travail du travailleur des plateformes… ce qui ressemble fortement à notre définition du lien de subordination qui était déjà applicable en France.

On peut donc subodorer que la France a finalement concédé sa signature lors de son ultime revirement, considérant que cela ne changera pas fondamentalement la donne dans notre législation. Sa position de seule nation opposée à ce texte social européen en matière d’emploi ternissait l’image du pays des droits de l’hommes, face à ceux des machines 😉.

Changement notable tout de même, les personnes exécutant un travail via une plateforme, leurs représentants, ou les autorités nationales compétentes (on imagine ici l’inspection du travail ?) pourront invoquer cette présomption légale et soutenir que les personnes concernées ont été classées dans la mauvaise catégorie.

Et surtout il incombera, alors, à la plateforme de travail numérique de prouver l’absence de relation de travail.

En droit, c’est que l’on appelle un renversement de la charge de la preuve et c’est vraiment intéressant pour les travailleurs concernés. En l’état actuel de notre droit, c’est une gageure pour ces travailleurs de monter un dossier de requalification et de réunir les preuves de leur lien de subordination avec les plateformes numériques quand c’est le cas.

Deux points supplémentaires intéressants à noter : cette présomption légale ne s’appliquera que dans les « procédures administratives ou judiciaires pertinentes » et non dans les « procédures fiscales, pénales ou de sécurité sociale ».

Enfin, au nom du sacro-saint principe de sécurité juridique, cette présomption légale n’aura pas d’effets juridiques rétroactifs, autrement dit elle ne pourra être invoquée dans des contentieux ou pour des situations dont la date est antérieure à la date de transposition de la Directive, donc potentiellement deux ans…

 

La transparence algorithmique pour les travailleurs des plateformes : les plateformes mises au pli

algorithme plateformes

Les avancées les plus notables de cette Directive sont finalement les mesures contenues dans le chapitre 3 du texte négocié, concernant la gestion algorithmique.

En prévoyant la transparence de « l’utilisation des algorithmes aux fins de la gestion des ressources humaines », et en « s’assurant que les systèmes automatisés sont supervisés par un personnel qualifié et que les travailleurs ont le droit de contester les décisions automatisées », on peut clairement considérer que l’Europe « sociale » a pris ses responsabilités.

Difficile d’anticiper toutes les applications pratiques et les changements concrets dans les relations de travail entre travailleurs et plateformes, en revanche celles-ci vont devoir revoir en profondeur leur process et clarifier leur mode de fonctionnement.

Nul doute que les représentants de ces travailleurs sauront demander des gages aux plateformes sur la mise en place concrète de cette transparence algorithmique.

Huit articles au total traitant de ce sujet sous de multiples déclinaisons.

Si l’on veut résumer (je vous renvoie vers les articles 7 à 15 de la Directive si vous souhaitez en savoir plus) le texte prévoit que les travailleurs devront désormais « être informés de l’utilisation de systèmes de surveillance ou de prise de décision automatisés en ce qui concerne leur recrutement, leurs conditions de travail et leur rémunération », entre autres.

La Directive précise également une interdiction d’utiliser des « systèmes de surveillance ou de prise de décision automatisés aux fins du traitement de certaines catégories de données à caractère personnel des personnes exécutant un travail via une plateforme ».

Enfin, de manière notable, cet accord prévoit de garantir la mise en place d’une évaluation et un contrôle humain des décisions automatisées. Les travailleurs des plateformes auront également le « droit d’obtenir une explication concernant ces décisions et d’en demander le réexamen ».

Réelle avancée s’il en est, on en serait presque curieux de savoir comment ils vont concrètement, et surtout efficacement, mettre en place ces contrôles humains !