10/07/2023
Le 12 juin dernier une nouvelle étape a été franchie dans les
discussions autour de la directive européenne sur les travailleurs des
plateformes. Les 27 ministres de l’Emploi et des Affaires sociales se sont en
effet mis au diapason, après quelques dissonances, sur une position commune sur
le contenu possible de ladite directive qui sera débattu prochainement devant
le Parlement Européen.
Occasion parfaite pour vous reparler de l’ARPE que nous vous présentions il y a quelques mois maintenant, notamment au travers de l’excellente interview de son Directeur Général, Joël BLONDEL.
Les travailleurs des
plateformes seront-il bientôt tous des salariés ?
Titre accrocheur, notamment en termes de SEO (ndlr : qui
permet un meilleur référencement des articles 😉), mais je préfère répondre tout de
suite : la réponse est non.
En revanche, on appréciera le débat, puisqu’aujourd’hui rien
qu’en Europe, le sujet concerne déjà 28 millions de personnes. L’Union
Européenne table tout de même sur 43 millions de travailleurs des plateformes d’ici
deux ans, autant dire demain. Si le sujet touche principalement les secteurs
des VTC et de la livraison, le secteur du service à la personne est également
concerné et il ne faut pas être grand clerc pour imaginer que de nombreux
autres secteurs vont les rejoindre (belle infographie sur l’économie des
plateformes de l’UE par ici pour les amateurs).
Rappelons l’objectif de la Directive et de l’Europe :
assurer l’accès à un socle minimum de droits sociaux pour ces travailleurs d’un
nouveau genre. On parle de salaire minimum, de droits à la retraite ou encore
de droit à des prestations chômage. Pour ce faire, le projet de Directive
présenté par la Commission en décembre 2021 envisageait d’instaurer une
présomption de salariat, sous certaines conditions.
Avant de voir ce que prévoit la France pour faire face à ces
nouveaux enjeux, revenons sur cette fameuse position commune de Conseil de l’UE
(où siègent les ministres de l’Emploi et des Affaires sociales de chaque pays
membres).
De l’indépendance au
salariat
La dernière mouture adoptée de la Directive (qui doit encore
passer devant le Parlement européen rappelons-le) prévoit que si trois des
conditions suivantes sont réunies, le travailleur sera réputé salarié :
27 pays se sont donc mis d’accord pour considérer que la
réalisation de trois de ces critères (de manière cumulative) entraînera l’application
de la présomption de salariat prévue par la Directive. A ce moment-là, ce sera
à la Plateforme de démontrer que ce n’est pas le cas, c’est ce que l’on appelle
un « renversement de la charge de la preuve ». Pratique, surtout pour
les travailleurs eux-mêmes qui ont plus de difficultés à constituer des
dossiers face aux plateformes. Même si notons que les juges en France resteront
souverains pour considérer en fonction des éléments qui leur sont soumis si le
travailleur est un salarié ou un indépendant, un seul critère pouvant selon les
cas suffire.
Notons également que les juges sont en France particulièrement
sensibles aux garanties offertes aux travailleurs, seront-ils dès lors moins prompts
à la requalification depuis que l’ARPE permet de
négocier des droits minimaux pour les chauffeurs VTC et livreurs ? La
question reste en suspens.
Les négociations vont donc s’ouvrir sur cette base avec le Parlement
Européen, et la position de la France risque d’être fort intéressante puisque
nous avons d’ores et déjà rempli les objectifs finaux du texte : donner
une protection sociale minimale à ces nouveaux indépendants.
L’ARPE : l’autre
voie que la présomption de salariat ?
C’est en tout cas ce que propose la
France notamment avec la mise en place
de l’ARPE et des négociations en cours en son sein.
D’ailleurs, la France a ferraillé
avec ses homologues européens afin d’inclure un petit considérant fort utile pour la France en cas de
transposition de la Directive.
Il s’agit du 24a qui précise dans la
langue de Shakespeare : « When the digital labour platform
complies with measures or rules which are required by law or collective
agreements, applicable to genuine solo self-employed, this is not as such to be
understood as fulfilling one or more criteria for triggering the legal presumption
under this Directive ».
En d’autres termes et dans le cas de
la France, si les plateformes appliquent les accords collectifs négociés au
sein de l’ARPE, cela ne peut entraîner l’application de l’un des critères de la
Directive sur la présomption de salariat, même si le sujet traité concernait
l’un d’eux.
Prévalence des accords sur
l’application de la Directive ? Oui et non, rien n’empêchera le juge une
fois encore de vérifier les éléments de fait et de requalifier si la plateforme
ne respecte pas ses obligations. Mais clairement cela place la France et notre
Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi dans d’excellentes
dispositions en cas de transposition.
On peut je pense s’en satisfaire en l’état. En effet si l’on
avait questionné la légitimité des acteurs autour de la table des négociations
de l’ARPE dans notre premier article dédié aux élections des
représentants des travailleurs des plateformes de mobilité, force est de
constater que les choses avancent et dans un sens plutôt intéressant pour ces derniers.
Rappelons tout d’abord que le premier cycle de
représentativité des acteurs est seulement de deux ans, au lieu de 4 ans, afin
de permettre à d’autres organisations de se présenter. Les prochaines élections
se dérouleront donc en 2024 !
L’ARPE donc, et ses parties prenantes n’ont pas chômé avec 5 accords déjà signés :
Secteur des livreurs : (20 avril 2023)
Vous pourrez retrouver ces accords sur le site internet de l’ARPE qui a vu le jour récemment
et qui est déjà une mine d’informations.
Vous pourrez également y trouver les orientations stratégiques de l’institution (fort intéressant),
ressources diverses, ou encore un tableau sur les indicateurs sur l’activité des
travailleurs des plateformes de mobilité !
Si c’est une obligation imposée par la loi, on appréciera que l’ARPE
agrège toutes les données de toutes les plateformes dans son scope et les mette
aussi facilement à disposition (pas certain en effet que ce soit aussi
lisible sur les sites de toutes les plateformes 😉).
On ne va pas se mentir, les négociations en cours chapotées
par l’ARPE ressemblent comme deux gouttes d’eau aux négociations dans les
branches d’activité de leurs homologues salariés, même si dans le cas des
travailleurs des plateformes on parlera d’accord de secteur, et non d’accord de
branche (et on notera que les branches recouvrent des secteurs en règle
générale, CQFD).
Ainsi, oui, la France a déjà trouvé sa réponse à la transposition
future de la Directive : plutôt que d’appliquer strictement la présomption de
salariat, nous négocions déjà un socle de droit minimum pour ces travailleurs,
ils restent donc des indépendants.
Nous n’en sommes pas à notre coup d’essai, l’innovation
sociale ne nous fait plus peur : portage salarial, intérim, groupements
d’employeurs, entrepreneurs salariés associés des CAE, nous ne manquons pas
d’idées afin d’adapter les règles aux besoins du terrain et des acteurs
économiques.
Première pierre selon moi à un édifice plus grand, l’ARPE
préfigure, je le souhaite, une véritable instance d’accueil pour un dialogue
social dédié aux indépendants.
Comme le dit très bien Joël BLONDEL dans l’une de ses interviews pour le média METIS, « nous
sommes à la croisée d’une évolution générale des modes de consommation et des
relations de travail. »
A suivre donc…
sur votre activité professionnelle avec le portage salarial