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Travailleurs des plateformes : ARPE, directive UE et entretien avec Michel Yahiel

16/05/2025

Vous le savez le sujet des travailleurs des plateformes est un peu mon violon d’Ingres, et j’essaie régulièrement de vous donner les actualités de ce « secteur » pas comme les autres.

Aujourd’hui on va parler, rapidement, de la transposition en France de la Directive européenne des droits sociaux de ces travailleurs et un peu plus longuement de l’ARPE, l’innovation juridique et sociale la plus délicieuse selon moi de ces 5 dernières années. Un peu plus longuement surtout parce que Michel YAHIEL, son nouveau Président, nous a fait le plaisir de répondre à nos questions.

On est partis !

Photo de Michel Yahiel

Transposition de la Directive européenne des travailleurs des plateformes

Rappelons tout d’abord que la France dispose d’un délai de deux ans pour transposer cette Directive, soit avant le 2 décembre 2026.

Aux dernières nouvelles, à savoir le 13 février 2025, le Ministère du Travail répondait à une question écrite du sénateur de Meurthe et Moselle M. Olivier Jacquin qui s’inquiétait de l’absence de calendrier sur le sujet tout en espérant que la France allait enfin mettre en place un cadre sécurisant pour ces « véritables tâcherons modernes », je cite.

La réponse du Ministère est claire, sans être précise : notre pays se mobilise déjà pour « la protection de toutes les personnes exerçant un travail via une plateforme, quel que soit leur statut », restant sur sa ligne de départ : il y a de vrais indépendants, et des faux, mais il ne faut pas tous les mettre dans le même panier. Autrement dit : vous n’obtiendrez pas une requalification généralisée des travailleurs des plateformes, ni de manière générale, ni pour ceux des plateformes de mobilité !

Bien sûr le Ministère ne s’est pas privé, sans la citer, de parler de l’ARPE qui permet, rappelons-le, aux travailleurs indépendants qui fournissent une prestation de services par l’intermédiaire d’une plateforme de négocier entre organisations représentatives spécifiquement dans le secteur de la mobilité.

Belle transition pour le second sujet qui nous intéresse aujourd’hui, l’ARPE, (l’Autorité des Relations sociales des Plateformes d’Emploi pour les intimes), dont nous avions salué la création dans le Guide, et qui a bien roulé sa bosse en à peine 3 ans.

L’ARPE : la mélodie suit son cours

Depuis sa création en 2022, cette autorité administrative n’a pas chômé :

Bruno METTLING qui avait ouvert le bal en 2022, a ainsi passé le flambeau de la Présidence à Michel YAHIEL le 13 septembre 2023, un fin connaisseur du dialogue social et des travailleurs indépendants.

Si les gammes sont respectées et que l’instrument semble accordé, l’harmonie est-elle pour autant atteinte ? Uber, le géant américain, se plie-t-il aussi facilement au jeu de la négociation ? Nous avons justement interrogé le Président de l’ARPE pour en savoir plus 😉.

Monsieur YAHIEL, bonjour, merci pour votre temps ! Première question, presque personnelle, pourquoi avoir repris le flambeau de Bruno METTLING pour la présidence de l’ARPE ?

Comme souvent, une décision est le fruit de la combinaison de certaines circonstances et d’une certaine logique.

Pour des raisons professionnelles et d’environnement général au vu de mes précédentes responsabilités, j’étais présent à chacune des étapes du processus de création de l’ARPE. J’ai donc connu la problématique des plateformes assez tôt. Ce sujet a en effet été porté quand j’étais à l’Elysée, et quand j’ai pris mon poste à France Stratégie, les pouvoirs publics ont fait le choix d’incuber le nouveau système qui allait donner naissance à l’ARPE. J’étais alors aux premières loges.

De plus, lorsque Bruno METTLING a décidé de se retirer, j’étais davantage disponible, je prenais ma retraite officielle. Face à cette conjonction d’expertise, d’intérêt et de disponibilité, mes interlocuteurs de longue date sur cette question à l’Elysée et Matignon ont pensé à moi de manière spontanée. Je devais prendre la présidence de l’ARPE en septembre 2023 et quitter mon poste de Directeur des politiques sociales de la Caisse des Dépôts et Consignations en mai 2024.

C’est ce que l’on appelle le fruit du hasard et de la nécessité.

Pouvez-vous nous parler des objectifs stratégiques de l’ARPE sur les 3 prochaines années ?

L’ARPE a voté en mars la mise en place d’un plan stratégique pour les années 2025-2028, avec notamment 5 priorités :

  • Améliorer l’accès à l’information sur le dialogue social pour les travailleurs des plateformes : cet axe vise à renforcer la visibilité des travaux de la négociation collective au sein de l’ARPE. C’est un peu l’équivalent des rapports de branche pour les autres secteurs d’activité. Notre second enjeu sera de trouver des moyens de rendre les droits des travailleurs des plateformes plus lisibles, plus accessibles.
  • Garantir l’application des textes relatifs au dialogue social: l’ARPE bénéficie pour se faire d’attributions qui évoquent celles de l’inspection du travail : elle étend les accords afin de les rendre applicables à toutes les plateformes et tous les travailleurs, elle peut demander et se voir transmettre un certain nombre d’informations quantitatives… Son nom « d’autorité » est tout sauf anodin !
  • Enrichir le dialogue social et approfondir la connaissance des secteurs des plateformes de mobilité;
  • Développer une approche territoriale du dialogue social;
  • Mettre à disposition de l’ARPE les moyens d’exercer pleinement ses missions.

Une fois ces objectifs actés, il faut faire avec la réalité. Pragmatiquement, notre travail au sein de l’ARPE, c’est comme faire du vélo, si vous arrêtez de pédaler, le vélo tombe.

A quels défis devra faire face l’ARPE dans les prochaines années ?

Le principal défi est celui de trouver un compromis entre les acteurs, et nous n’avons pas tant de temps que cela.

Aujourd’hui encore certaines Plateformes veulent se passer totalement du Code du travail pendant que certaines des organisations de travailleurs des plateformes veulent une requalification générale de tous les chauffeurs et livreurs en salariés.

Il faut trouver le juste milieu. Il ne faut pas oublier qu’avec la transposition de la Directive qui va arriver, il faudra que nous ayons des résultats, sinon nombreux seront les déçus.

L’ARPE est une sorte de « plateforme » sans mauvais jeux de mots. Elle instaure un espace de compromis à la fois entre les plateformes d’emploi et les travailleurs indépendants mais aussi entre les pouvoirs publics et les plateformes.

L’ARPE permet d’assurer une régulation des droits et une efficacité économique sans prendre forcément le chemin du salariat. Le compromis de la création de l’ARPE est clair, il repose sur l’idée que l’on maintient le modèle économique des plateformes, on garde le cadre des travailleurs indépendants et par le biais de la négociation collective, on met fin à la précarité desdits travailleurs.

Et , l’ARPE fait le travail, plus d’une dizaine d’accords ont été négociés en à peine un peu plus de deux ans.

Mais certaines plateformes, peinent à jouer le jeu du dialogue social, leur siège anglo-saxon n’ayant que faire de nos tentatives de compromis et de régulation, étant plus attentif « au chiffre en bas à droite ».

Alors mon rôle est de les prévenir : la Directive européenne s’appliquera et si nous n’avons pas fait la preuve de notre capacité à mettre en place un compromis, le système français sera menacé.

Quelle est votre vision de l’institution sur le long terme ?

Sur un aspect plus prospectif, selon moi l’ARPE préfigure ce que pourrait être demain le dialogue social pour l’ensemble des travailleurs des plateformes d’emploi, et pas seulement de mobilité : je pense ici à toutes les activités de service à domicile par exemple et d’autres secteurs en devenir. Je rejoins ici ce que vous disait Joël Blondel, le Directeur général de l’ARPE en novembre 2022.

Mais encore une fois, attention, les fondations sont là, nous y travaillons, mais elles sont fragiles et si le compromis incarné par l’ARPE se solde par un échec, il n’y aura pas de nouvelle tentative de sitôt.