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Travailleurs des plateformes & négociation collective : une nouvelle reconnaissance

Lors des Assises du Social, le 22 septembre dernier, un prix de la négociation collective 2025 a été décerné aux organisations représentatives de la livraison. En quoi c’est particulièrement intéressant ? Au-delà du contenu de l’accord, sur lequel nous reviendrons en deuxième partie, c’est bien dans la symbolique que beaucoup de choses sont dites : c’est l’une des premières fois en France que le dialogue social des travailleurs indépendants est ainsi reconnu !

On revient sur cet événement dont on se souviendra dans les années à venir.

Livreur plateforme ARPE

Encore un pas vers la reconnaissance d’un dialogue social des travailleurs indépendants

Le 22 septembre dernier, l’Association ADS (les Assises du Social) a remis comme chaque année leurs différents prix sur la négociation collective.

Cette association se veut être un espace privilégié de « rencontres et d’échanges de l’ensemble des acteurs des Ressources Humaines quel que soit leur métier, leur rôle, leur orientation politique ou syndicale. »

Habituellement orienté représentants des travailleurs salariés et patronaux « classiques » dirons-nous, cette fois un prix de la négociation collective 2025 a été décerné aux organisations représentatives du secteur de la livraison. Sous la houlette de l’ARPE, UNION-Indépendants, la FNAE, SUD Commerces et Services et l’API (organisation représentative des plateformes de livraison) ont en effet signé le 7 mai 2024 un accord de lutte contre les discriminations au sein des plateformes de mise en relation.

En quoi c’est particulièrement intéressant me direz-vous ?

Au-delà du contenu de l’accord sur lequel nous allons revenir, c’est surtout un pas supplémentaire vers la reconnaissance d’un Dialogue social bien particulier, celui des travailleurs indépendants. Bien que cette qualification soit encore débattue en France et en Europe, il n’en reste pas moins qu’en l’état actuel de notre droit, les travailleurs des plateformes sont bien des indépendants qui négocient donc… avec leurs donneurs d’ordres !

L’ARPE, une fois de plus, montre toute sa modernité et il ne serait pas surprenant que dans les prochaines années elle finisse par jouer un rôle central dans la construction d’un dialogue social dédié à tous les travailleurs indépendants et plus seulement aux seuls travailleurs des plateformes !

Un accord de lutte contre les discriminations qui doit faire ses preuves

L’accord signé par les représentants du secteur de la livraison est intéressant en termes de contenu. Mais la question en suspens est : les plateformes l’appliqueront-elles vraiment ?

Sur le contenu de l’accord lui-même :

Citons tout d’abord le champ d’application de l’accord qui vise les comportements discriminatoires entre :

  • Un livreur et une plateforme ;
  • Livreurs ;
  • Restaurateurs et livreurs ;
  • Destinataire de la livraison et un livreur.

Etant précisé que cela fonctionne dans les deux sens à chaque fois, par exemple un livreur se rend coupable d’un acte ou propos discriminatoire envers le destinataire de la livraison, et de manière plus surprenante le livreur a ce type de comportement envers la plateforme (on imagine ici envers un des salariés de celle-ci).

Revenons ensuite sur les principaux articles de l’accord :

  • Dans son article premier, il prévoit la mise en place d’un “observatoire des discriminations” en charge notamment de présenter une enquête annuelle réalisée auprès des livreurs par les plateformes elles-mêmes ;

Cet observatoire prend la forme d’un temps dédié par la commission de négociation qui examine chaque année des situations de discriminations dont seraient victimes les livreurs indépendants.

A ma connaissance la commission ne s’est pas encore réunie à ce sujet.

  • Dans l’article 2, volet prévention, on notera la réalisation et la diffusion par les plateformes d’un guide d’accompagnement sur les discriminations. Guide à destination de tous les utilisateurs possibles de la plateforme donc livreurs indépendants, restaurateurs, commerçants destinataires des livraisons.
  • Ensuite, à l’article 3 de l’accord, on retrouve le volet accompagnement des livreurs indépendants victimes de discrimination.

Ici est prévu par exemple le droit de signalement des livreurs de tout acte discriminatoire. Pour que ce droit soit effectif, les plateformes facilitent sa mise en place grâce à un dispositif d’alerte accessible sur leurs applications notamment.

  • En corrélation avec ce droit, une partie soutien est prévue au même article pour les victimes de tels actes incitant fortement les plateformes à agir en prenant en charge la personne victime le plus rapidement possible et la redirigeant vers les autorités si besoin.
  • Toujours dans le même article, les personnes auteurs d’agissements discriminatoires sont expressément visées, avec la possibilité pour la plateforme de rompre les liens contractuels des auteurs présumés de tels actes.
  • Enfin, dans l’article 4 de l’accord, on citera le droit au dédommagement des livreurs accusés à tort et qui ont vu leur compte désactivé pendant le temps de l’enquête.

Bien sûr, le droit existant permettait déjà d’agir de multiples manières, mais le fait d’indiquer la marche à suivre à chaque étape dans ce genre de situation est fort appréciable.

On peut évidemment être sceptique quant à la réelle application des mesures de l’accord, la plupart d’entre elles dépendant finalement de la bonne volonté des plateformes.

La question reste donc en suspens : vont-elles jouer le jeu ou faire simplement du social washing ?

Justement c’est ici que la position de l’ARPE est intéressante. Dans cet espace de dialogue d’un nouveau genre, les plateformes doivent rendre des comptes aux organisations représentatives des livreurs indépendants qui ne sont pas là pour enfiler des perles. Bien sûr, comme dans notre dialogue social classique, elles peuvent faire fi de ces négociations et des rappels à l’ordre, mais ce serait un pari risqué.

En effet, comme nous en parlions tantôt avec Michel YAHIEL, le Président de l’ARPE, son organisation sera entendue bientôt sur la transposition de la Directive sur les travailleurs des plateformes, et si celles-ci veulent à minima sécuriser leur modèle dans notre pays, et ne pas se voir appliquer la version dure de la Directive (livreurs = salariés), elles seraient bien inspirées de jouer le jeu du dialogue social que nous leur proposons, et ne plus être seulement attentives aux seuls « chiffres en bas à droite » comme le craignait le Président de l’autorité des relations sociales des plateformes d’emploi !

A suivre donc dans les prochains mois 😉