Interview de Jérôme Fayau, dirigeant de Baya

22/11/2022

Bonjour, je suis Fabrice RICHARD, fondateur de la Faabrick Cherdet et du média l’Archipel consacré à l’emploi sous toutes ses formes, et cela fait maintenant plus de deux ans que j’ai le plaisir d’interviewer des dirigeants d’entreprises de portage salarial (EPS) pour le Guide du portage salarial.

Le portage salarial, c’est pour moi une passion, comme toutes les formes alternatives d’activité c’est vrai, mais mon histoire et ma participation à la rédaction de l’ordonnance de 2015 et la convention collective de 2017, et plus récemment la réalisation du rapport de branche du secteur, font que cette forme d’emploi a pour moi une signification particulière.

Chef d’entreprise également, je m’intéresse à ces hommes et ces femmes, qui depuis des années, ou plus récemment, font bouger les lignes et contribuent à créer un pont entre les besoins des personnes et des entreprises.  

Pour ce nouvel épisode, nous avons eu le plaisir d’échanger avec Jérome FAYAU, un pionnier du portage salarial, dirigeant de l’EPS BAYA créée en 2006.

C’est parti pour la nouvelle interview des entrepreneurs du portage salarial !

 

Rubrique : Portrait perso

Famille

Bonjour, je m’appelle Jérôme, j’ai 53 ans et je suis marié depuis 30 ans. J’ai une fille de 19 ans qui fait des études d’ostéopathie. Nous sommes une entreprise que l’on peut qualifier de familiale, mon épouse travaillant au service communication et marketing au sein de BAYA, et mon frère au service informatique.

Parcours

J’avoue avoir été un élève turbulent à l’école (Rires). J’avais un peu de mal à entrer dans un cadre on va dire. Mes parents m’ont envoyé en pension en Angleterre en troisième plutôt que de redoubler, et je suis revenu en France ensuite, en pension également. Au grand dam de mes parents, j’ai encore rencontré quelques difficultés par la suite, je n’avais que peu d’appétence pour la chimie notamment, ce qui m’a coûté mon passage dans la filière scientifique, et plutôt que de finir mon troisième cycle en école de commerce (ISG), je suis parti effectuer mon service militaire. A l’époque j’étais déjà avec mon épouse.

Malgré ce parcours en dents de scie, j’ai eu de la chance il faut le dire, et j’ai su saisir les opportunités qui s’offraient à moi. On m’a proposé un poste chez ELIOR, du groupe ACCOR, dans la restauration collective à la suite d’un stage que j’avais effectué chez eux dans le cadre de mes études.

Je suis rapidement devenu responsable de secteur dans la restauration scolaire. Je m’occupais des marchés publics, pour la collectivité des Hauts-de-Seine, et notamment la mairie de Levallois-Perret. Après onze ans en région parisienne je suis parti travailler à Reims, et là j’ai découvert un nouveau monde, celui de l’enseignement privé scolaire, religieux. Après un passage en Rhône-Alpes, j’ai fini ma carrière dans le groupe ELIOR, pour finalement être débauché par le groupe ADECCO. L’expérience était intéressante, mais la philosophie ne me convenait pas toujours, et la politique interne RH non plus. Après 14 ans en tant que salarié, je me suis dit : Jérôme, pourquoi tu ne monterais pas ta boîte ? Et je me suis lancé.

Le passage de l’intérim au portage salarial a été relativement simple, je connaissais déjà bien le dispositif du fait de mes anciennes fonctions. Je me suis associé avec une collaboratrice, directrice d'agence à l'époque, dont l'expérience de 10 années dans l'intérim a été particulièrement bénéfique. On s’est officiellement lancés en octobre 2006, en ouvrant une première enseigne BAYA sur Annecy.

Les débuts n’ont pas été de tout repos. Le portage salarial était encore en pleine construction, et il subsistait pas mal de questionnements juridiques notamment sur la contractualisation. Nous avons fait appel au MEDEF pour nous aider à rédiger les contrats, mais il faut se rappeler qu’à ce moment-là, il n’y avait pas de branche du portage salarial, et nous étions encore rattachés à la branche Syntec… Les tensions politiques étaient presque palpables… J’ai finalement réussi à être bien accompagné par le MEDEF de la Haute-Savoie, mais les débuts ont été compliqués.

Nous nous sommes tout de suite démarqués avec BAYA, dès 2006. Nous étions, je pense qu’on peut humblement le dire, parmi les précurseurs à avoir mis en en place un salaire minimum mensuel, onze ans avant que la convention collective ne l’impose, ainsi qu’une garantie financière contre les impayés, chose rare courant des années 2000.

C’est drôle, parce que vraiment en 2006, c’était le chaos dans le secteur du portage salarial : beaucoup d’insécurité économique et juridique, pour nous les chefs d’entreprises et les consultants qui ont choisi de nous faire confiance. Mais je ne sais pas, dans mon esprit, c’était l’avenir. Flexibilité, autonomie, sens au travail, tout le monde en parle maintenant, mais à l’époque on était une petite poignée à y croire et même si dans le secteur de l’intérim on commençait à se positionner comme des sociétés de placement, le portage salarial était déjà résolument une solution d’avenir.

Passion ?

La voile ! Depuis tout jeune, j’adore ça, même si mes parents m’ont maintenu dans un cadre (alors que j’essayais toujours d’en sortir, rires). Donc j’ai bon an mal an fait mes études de commerce plutôt que skipper professionnel, mais la passion est toujours présente.


Rubrique: Portrait pro

Quelle évolution du groupe ?

Pour revenir un peu sur l’histoire de BAYA, fin 2006 on crée la structure, et en 2008 on a commencé à étoffer notre réseau en ouvrant des agences de proximité notamment à Nantes et à Lyon.

Première crise économique en 2008/2009, cette ligne de « dépenses » a été brutalement suspendue et notre croissance a clairement été remise en cause. Pour faire face à cette situation, nous avons rapidement mis nos locaux à disposition pour nos consultants, pour réaliser des formations, des entretiens, et finalement on s’est retrouvés plus sur le palier de nos bureaux que dedans (Rires), c’est là que l’on a eu l’idée d’ouvrir des centres d’affaires.

En 2010, l’idée avait fait son chemin, l’activité des centres d’affaires était lancée : ce sont des espaces privés, pas des espaces de coworking, même si tout le matériel pour travailler à distance est fourni bien évidemment.

Je ne te cache pas que ce sont des investissements lourds qui ont impliqué la famille, des amis, et bien sûr des investisseurs privés. C’est toujours le même cercle depuis le départ, nous en sommes très fiers.

Mais BAYA, c’est aussi aujourd’hui une offre en matière de formation, d’assistanat en matière administrative, juridique et social, et IT : finalement nous proposons une gamme de services complète, digitalisée, un « store » en quelque sorte au sein duquel les entrepreneurs et entreprises peuvent bénéficier d’une offre à 360 degrés en fonction de leurs besoins du moment.

Quel est ton rôle aujourd’hui ?

Concernant l’activité du portage, j’étais, et suis encore, à la manœuvre de A à Z, de la partie technique à la partie stratégique. J’aime mettre les mains dans le cambouis comme on dit et avoir des réflexions plus prospectives en m’aidant de mon expérience terrain.

Sur l’activité des centres d’affaires, sur les 13 que nous avons en France aujourd’hui, je n’ai jamais vendu un bureau. J’ai la vision, certes, mais pas l’expertise que je peux avoir en portage salarial.

Ces centres sont précieux pour des entreprises afin de les faire bénéficier d’un accompagnement ante création. C’est une solution factuelle qui permet de louer des locaux à temps partagé et ces espaces de travail peuvent être une bonne solution en phase d’amorçage de certaines entreprises, mais aussi au cours de leur développement. Nous proposons également la domiciliation - encore une solution quand on est en phase de création.

Petite parenthèse de notre histoire, alors que BAYA était lauréat du réseau entreprendre en 2006, aujourd’hui cela fait 3 ans que j’en suis Président, c’est une grande fierté.

Points forts/avantages, c’est quoi le petit plus de ton EPS ?

BAYA est une structure à taille humaine, et on souhaite que cela continue. Pourquoi ? Pour rester proche de nos consultants, et être toujours aussi réactif et impliqué dans notre relation avec eux. Concrètement, chaque consultant a un interlocuteur dédié qui est là pour le conseiller et l'aider à développer son activité. On peut par exemple mettre en place un contrat en moins de 48h.

En plus de la relation humaine que l’on privilégie, et nos centres d’affaires qui permettent clairement de faciliter la mise en relation entre nos consultants et leurs clients, chez BAYA, on a aussi mis en place une grille tarifaire de fidélisation : point de départ, c’est 11%, et l’idée est que la fidélité paye, et cela peut descendre jusqu’à 6%. Bien sûr, tu me diras, certaines EPS sont à moins de 5%, tout est automatisé comme chez nous d’un point de vue administratif, mais l’humain aussi, et ça, nous, on ne veut pas. Certains consultants sont là depuis plus de 15 ans, et ils finiront certainement leurs carrières chez BAYA, ce n’est pas pour rien.

Enfin, BAYA a obtenu en septembre dernier le Label du portage salarial PEPS qui garantit de la qualité et de la fiabilité de l'accompagnement de notre entreprise.

Les projets du groupe dans les prochains mois/années à venir ?

Notre priorité, rester proches de nos consultants : si je réponds oui à la digitalisation administrative, je réponds clairement non à celle de la relation humaine, j’insiste ! Concrètement, cela signifie pour nous d’être proches du terrain, des territoires et des aspirations et besoins des personnes. Demain on se développera dans le Nord, dans l’Est. C’est vrai pour notre activité « portage salarial », mais aussi pour celle de nos centres d’affaires. Chez BAYA, les entrepreneurs viennent pour y travailler et trouver des solutions grâce notamment à la mise en relation de compétences. Avec près de 5000 clients aujourd’hui, nous avons déjà un beau réseau à proposer.

Si notre cœur de cible historique sont les entrepreneurs, nous ne sommes pas opposés à l’idée de créer des vocations chez certains salariés qui travaillent dans nos centres d’affaires justement.

Rubrique : Lieux communs ! Que réponds-tu à ces affirmations

Le portage, ce n’est pas fait pour les jeunes !

Il y a 10 ans en arrière, on peut le dire, le portage salarial s’adressait principalement aux cadres expérimentés, souvent seniors. Aujourd’hui, clairement, ce n’est plus la seule cible. De plus en plus de jeunes quittent, voire ne souhaitent pas passer par la case salariat, et la question se pose donc : quelle forme d’emploi choisir pour exercer son activité professionnelle ? On est en train de travailler avec des entreprises qui recrutent des « talents », elles demandent aux personnes de choisir le statut qu’elles souhaitent. Les boîtes sont jeunes, donc elles recrutent différemment, les mentalités ont bien changé, et on serait bien inspiré de s’adapter à ce mouvement.

Le portage, c’est trop cher !

Il y en a effectivement pour tous les coûts, et tous les services. En 2008, le portage salarial et la microentreprise (auto-entreprise à l’époque) font leur apparition dans le paysage législatif, ce sont deux logiques différentes répondant à des aspirations différentes.

Si je veux une protection sociale, cotiser et bénéficier de l’assurance chômage, me former tous les ans, avoir une vraie retraite, mon choix ira vers le portage salarial, et, évidemment, cela a un coût social plus important.

Après il y a aussi les frais de gestion prélevés par l’EPS, et là que propose-t-on concrètement ? La garantie financière, la certification QUALIOPI pour les formateurs, un réseau, la relance commerciale, la gestion administrative et juridique, la facturation, finalement beaucoup de temps gagné et d’énergie préservée et placée au bon endroit. Quand tu fais le calcul de ce que doit payer un freelance en micro, tout seul, pour avoir ne serait-ce que la moitié de ces services, à mon avis il dépasse largement les 10% de son CA.

Mais ce choix est en réalité une chance : on peut changer de statut, de modèle au cours de sa carrière, et ce n’est pas un problème. Cela correspond à des besoins différents, à différentes périodes de sa vie.


Rubrique : Avis d’expert

Le portage est-il selon toi assez connu, et reconnu ?

Je trouve que globalement les gens sont plus et mieux informés qu’avant, même si reconnaissons-le, cela ne sera peut-être jamais assez (Rires). Nous avons évangélisé le modèle auprès des candidats potentiels pendant des années, et on voit bien qu’il y a moins de monde à nos réunions d’informations et que les personnes ne tombent plus des nues en découvrant le portage salarial. Mais je parle bien des candidats.

Côté entreprise, il faut l’admettre, c’est une autre affaire : surtout dans les grosses entreprises, les process sont mis en place depuis longtemps, et les ressources humaines ont plus de difficulté à être agiles et s’adapter. On a bien plus progressé du côté des personnes que du côté des entreprises, c’est certain.

Mais une fois qu’une entreprise a compris comment fonctionnait le statut du portage salarial et a testé le dispositif, elle y revient rapidement : elle a compris les intérêts.

Qu’est-ce qu’il faudrait faire pour améliorer les choses ?

Il faut s’adresser aux DRH et évangéliser le dispositif au niveau des entreprises : c’est la prochaine étape.


Rubrique : Confession

Un coup de gueule, un partage, une suggestion, une maxime, ou juste un merci… la parole est à toi…

On a beaucoup de chance en France, je pense qu’il est bon de le rappeler. Nous sommes très bien accompagnés et soutenus dans la création et le lancement d’entreprises, mais il manque un étage dans la fusée. On ne transmet pas assez la culture entrepreneuriale, ce n’est pas assez valorisé, il nous manque une étape globalement, et c’est pour cela que beaucoup ne vont pas au bout de leur projet, ou stagnent pendant pas mal de temps.

C’est très bien que les pouvoirs publics prennent des dispositions çà et là, mais si on veut aller plus loin en tant que chefs d’entreprises, nous devons prendre en main notre destin nous-mêmes et décider dans quel écosystème nous souhaitons évoluer demain.

Le portage salarial n’est pas né d’une volonté politique, on était une bande de « fous furieux » à l’époque (Rires), et on s’entendait très bien, on s’entraidait avec une concurrence très saine pour le coup malgré les zones de flou, nous avions un projet, une dynamique pour faire avancer les choses !

Je suis convaincu que c’est encore possible aujourd’hui, cela ne dépend que de nous.