16/01/2023
La réécriture par les partenaires sociaux de l’article 23 de
la convention collective relatif au lieu de travail des salariés portés a pu
sembler anecdotique aux personnes qui suivent le secteur de loin. Elle revêt en
réalité une importance cruciale pour les professionnels du secteur et les
salariés portés.
L’extension de l’avenant le 1er avril 2022 nous donne une bonne occasion de revenir sur cette problématique.
Dans sa première version, la convention collective des salariés
en portage salarial consacrait un court article au lieu de travail, l’article 23,
rédigé comme suit :
Article 23
Lieu de travail
Le lieu de travail est déterminé par le salarié porté en
fonction de ses lieux d’activité.
A l’époque, cet article n’est clairement pas le plus
discuté. Rappelons que les partenaires sociaux ont fait le choix d’une
négociation express pour (enfin) doter les salariés portés d’une convention
collective digne de ce nom et ainsi parachever la sécurisation du dispositif. L’objectif
est d’aboutir à une signature avant les élections présidentielles pour éviter
de mettre en péril des mois de discussion et d’ouverture avec la direction
générale du travail.
La négociation s’ouvre donc en décembre 2016 et aboutit à
la signature unanime des partenaires sociaux le 22 mars 2017.
Conscients qu’il était littéralement impossible
d’accorder le temps qu’il fallait à tous les sujets de la branche, les
partenaires sociaux s'engagent sur un accord de méthode permettant de parfaire
l'encadrement conventionnel du secteur (il définir les thèmes, le calendrier et
l'organisation des prochaines négociations).
5 ans plus tard, plus d’une dizaine d’avenants ont été
signés, preuve du dynamisme de la branche. L’un d’entre eux nous intéresse
particulièrement aujourd’hui : l’avenant 9 relatif au lieu de travail et
aux frais de déplacement professionnels des salariés portés.
Vous l’avez peut-être compris, c’est dans ce lien entre
lieu de travail et frais de déplacement professionnels que réside tout
l’intérêt de la réécriture de l’article, destinée en premier lieu, n’en doutons
pas, aux services de l’URSSAF.
Les frais professionnels en portage salarial
Le portage salarial permet à un consultant autonome,
appelé salarié porté, de bénéficier du statut protecteur du salariat tout en
déléguant sa gestion administrative à son entreprise de portage. Parmi ses
avantages, la possibilité de déduire les frais professionnels liés à son activité
du chiffre d’affaires que l’on génère.
Quand on parle de frais professionnels, on pense par
exemple à un abonnement internet ou téléphonique, un abonnement à un espace de
coworking, l’hébergement et la maintenance de son site internet, cela peut aussi
prendre la forme de frais de déplacement ou de repas directement liés au
déroulement d’une mission.
Un salarié porté a la possibilité de demander à son
entreprise de portage une prise en charge de ses frais directement sur son
compte consultant. Cela a comme principale conséquence d’augmenter le taux de
transformation chiffre d’affaires => salaire net en évitant de payer des
cotisations sociales sur ces sommes.
Pour bien comprendre l’enjeu, prenons deux minutes pour regarder
un exemple. Nicolas exerce depuis peu son activité de webdesigner en portage
salarial. Il dépense 100 euros par mois pour divers logiciels lui permettant
d’exercer son activité sereinement.
Option 1 : Pas de possibilité de déduire ses
frais professionnels
Nicolas demande le versement de son salaire et paye ses
différents abonnements logiciels (100 euros). Nicolas doit payer les
cotisations sociales patronales (40 % de sa rémunération brute) et salariales
(22 % de sa rémunération brute) sur sa rémunération. Pour toucher 100 euros
net, il verse environ 80 euros de cotisations sociales. Si on prend comme
hypothèse qu’il paye environ 10 % d’impôt sur le revenu (IR), il paye également
10 euros en plus d’IR.
Ses différents logiciels lui ont donc en réalité coûté
près de 190 euros s’il n’a pas la possibilité de les déduire en frais
professionnels.
Option 2 : Possibilité de déduire ses frais
professionnels
Après contrôle de ses justificatifs d’achats,
l’entreprise de portage de Nicolas lui verse 100 euros au titre des frais
professionnels. Ces 100 euros sont prélevés sur le compte consultant de Nicolas
(alimenté par son chiffre d’affaires). Ses logiciels lui ont donc coûté 100 euros
et non 190 comme dans l’option 1. C’est assez rare mais certaines entreprises
de portage proposent à leurs salariés portés de récupérer la TVA sur leurs
achats. Les logiciels pourraient donc dans l’option 2 lui coûter 83 euros (20 %
de TVA) alors qu’ils lui coûteront 190 euros dans l’option 1. Un rapport du
simple au double pour Nicolas.
Maintenant que vous comprenez l’enjeu, imaginez qu’ils
s’agissent potentiellement de 500 ou 1000 euros par mois de frais
professionnels.
Une lecture restrictive de l’URSSAF
Or ces dernières années, l’URSSAF a procédé à plusieurs
redressements d’entreprises de portage. Nous vous en parlions il y a deux ans,
le principal sujet de redressement concernait le lieu de travail et les frais
de déplacement des salariés portés.
Dans plusieurs cas que nous avons pu consulté, l’URSSAF a
retenu comme lieu de travail habituel de salariés portés l’entreprise cliente
arguant du fait que ces derniers occupaient un poste sédentaire au sein de
l’entreprise cliente (mission de plus de 3 mois).
On comprend mieux la prudence des EPS depuis. Sur un
secteur où les marges nettes sont plutôt faibles, un redressement important
peut avoir des conséquences dramatiques pour l’entreprise.
Les partenaires sociaux, conscients du problème, ont pris
le problème à bras le corps pour proposer une nouvelle rédaction de l’article
23 et ainsi sécuriser davantage les salariés portés et les entreprises du
secteur. Une initiative bienvenue !
Des partenaires sociaux soucieux de la question
Les partenaires sociaux ont unanimement signé l’avenant 9
relatif au lieu de travail et aux frais de déplacement professionnels étendu le
1er avril dernier.
Nous vous livrons la nouvelle version de l’article
23 :
« Le salarié porté cumule nécessairement une pluralité de
temps d'activités : prospection, prestation, formation, gestion administrative,
congé, etc. qui induisent mécaniquement autant de lieux d'exercice différents.
Le salarié porté, s'il “ justifie d'une expertise, d'une qualification et d'une autonomie qui lui permettent de rechercher lui-même ses clients et de convenir avec eux des conditions d'exécution de sa prestation et de son prix ” (art. L. 1254-2 du code du travail), se trouve néanmoins contraint de s'adapter au cahier des charges de ses clients aux exigences induites par la bonne exécution de la prestation commandée. Ces sujétions ne le laissent pas libre du choix du lieu de travail. Le salarié porté n'a de fait pas de lieu habituel de travail.
Le salarié porté se trouve ainsi contraint d'occuper des
lieux d'activités multiples qui s'imposent à lui en fonction de ses missions et
des contraintes dans le développement et la conduite de ses activités.
Il est ainsi amené à réaliser des déplacements
professionnels depuis sa résidence sur ces différents lieux, à partir de ces
différents lieux et entre ces différents lieux.
La réalisation par le salarié porté de ses activités sur
ces différents lieux engendre des frais de déplacements professionnels.
Les frais de déplacements professionnels font l'objet
d'une gestion et d'un contrôle par l'entreprise de portage salarial. »
Cette nouvelle version vient rappeler la réalité du
quotidien des salariés portés. La reconnaissance de la multiplicité des lieux
d’activité des salariés portés est la clé pour prendre en compte la spécificité
du portage salarial.
Nous serons particulièrement attentifs à la manière dont l’URSSAF va interpréter cette nouvelle rédaction. En espérant qu’elle soit cette fois plus favorable aux salariés portés et aux entreprises de portage salarial.
sur votre activité professionnelle avec le portage salarial