02/03/2021
Nous avons vu dans une première partie les solutions exclues par le rapport FROUIN à l’épineux problème du statut des travailleurs des plateformes, nous allons aborder dans la seconde, comme promis, celles qui ont été retenues à savoir les fameux « tiers sécurisateurs » que sont les coopératives d’activité et d’emploi, et le portage salarial bien évidemment.
Après avoir écarté moult hypothèses, le rapport devait toujours
répondre à la question qui paraissait devenir insoluble : existe-t-il
aujourd’hui en France une solution pour répondre à la problématique des
travailleurs des plateformes, qui n’ajouterait pas une complexité législative
supplémentaire et qui permettrait d’allier la souplesse, l’autonomie du
travailleur indépendant, et la protection sociale du salariat, tout en
répondant à la problématique du risque de requalification juridique ?
Vous noterez que pour vous chers lecteurs, comme pour nous
modestes rédacteurs, la réponse à la question n’était finalement pas si complexe… L’autonomie d’un indépendant, la
protection sociale d’un salarié … ça vous parle non 😉 ? Le
rapport parle de « tiers sécurisateur », on a déjà lu et entendu « tiers
porteur », derrière ces mots se cache bien naturellement le portage salarial (et la coopérative
d’activité et d’emploi).
On notera d’ailleurs, et le rapport en cite la plupart, que
des travaux du Conseil économique social et environnemental (CESE) sur les nouvelles formes du travail indépendants préconisaient l’extension de l’entreprenariat-salarié
aux travailleurs des plateformes en 2017 ! On citera également le rapport
de la fondation Jean JAURES, « pour
travailler à l’âge du numérique défendons la coopérative », de janvier
2020, qui proposait peu ou prou la même chose. Enfin, la Fondation Travailler
autrement parlait en février 2017 dans son étude sur « les
indépendants : simplifier et sécuriser »,des tiers de confiance
et identifiait le portage salarial et les CAE comme solutions possibles à la
question de la requalification et à la sécurisation des parcours des
travailleurs indépendants.
Rien de nouveau sous le soleil donc, si ce n’est, et c’est
là toute la différence, que le rapport ne se contente plus simplement d’encourager
l’utilisation de ces dispositifs, encore méconnus du grand public, mais préconise
tout simplement de les rendre obligatoire quand c’est nécessaire.
Nous nous attacherons dans cet article à décrypter la proposition phare du rapport.
La réponse est simple : parce que ce sont les seuls dispositifs qui répondent à l’équation « presque » impossible à résoudre posée par le gouvernement :
Permettre de concilier le modèle économique des plateformes, le souhait d’autonomie des travailleurs et une protection sociale adéquate.
En passant par ce fameux tiers sécurisateur, un travailleur
des plateformes devient alors salarié de ce tiers, et « accède au régime
général de la Sécurité sociale, à l’assurance chômage, à tous les droits et
avantages liés au salariat », comme le fameux graal du CDI, encore
aujourd’hui bien utile pour accéder à la location ou au prêt bancaire. Comme
l’indique le rapport, il accède également au chômage partiel, tout en restant «
libre de l’organisation de son travail ».
En portage ou en CAE, les travailleurs demeurent des « indépendants » au sens où ils supportent directement le risque économique de l’activité.
Le travailleur en portage salarial
ou en CAE n’a pas en effet de réel lien de subordination vis-à-vis de son
employeur légal. L’organisation de son travail n’est en rien assurée par l’entreprise
de portage salarial ou la CAE.
Et comme le travailleur des plateformes devient salarié, et
bien il n’y a plus de risque de requalification pour les plateformes :
tout est bien qui finit bien, ou presque...
Mais avant d’entrevoir les possibles limites d’application de ces formes d’emploi aux travailleurs des plateformes, concentrons-nous sur la proposition complète du rapport : rendre les CAE et portage obligatoires pour cette population, à certaines conditions toutefois.
Comme nous l’avons souligné en introduction, le rapport
FROUIN s’est imprégné de travaux préalables qui ont inspiré ses propositions.
Là où il devient original, intéressant, et polémique, c’est parce qu’il propose
de faire de ces formes d’activité « la forme normale d’exercice
professionnel avec les plateformes de mobilité, car la seule à même de concilier
la flexibilité et la garantie des droits ».
En d’autres termes, l’idée est ici de rendre ce recours à
la CAE ou au portage… obligatoire !
Alors là… Tremblement de terre, Tsunami, on veut IMPOSER
des statuts à des personnes sans leur demander leur avis, et tout ça au nom de
quoi ??? Non vous n’aurez pas ma liberté d’entreprendre…dirait
l’artiste !
Si la liberté d'entreprendre a été élevée au rang des
principes à valeur constitutionnelle, par le Conseil du même nom, le législateur
peut toujours restreindre cette liberté, notamment pour des motifs d’intérêt
général. Comme le rappelle le rapport, « un premier motif
d’intérêt général est la garantie des droits de ces travailleurs, dont la
protection sociale et les garanties en matière de santé et sécurité au travail
sont inférieures à celles des salariés », ce qui pourrait en soit
constituer « une atteinte proportionnée à la liberté d’entreprendre et
à la liberté contractuelle. »
Mais sortons rapidement de ce débat juridique dont cet
article n’est pas l’objet pour revenir à l’essentiel : un recours
obligatoire, oui, mais sous certaines conditions !
On peut les résumer en deux points principaux :
Pour faire simple, l’idée est de rendre obligatoire ces
dispositifs uniquement pour les personnes qui exercent leur activité de
chauffeurs ou livreurs de manière principale. Ainsi, seuls les travailleurs
qui auraient vocation à s’installer de manière « durable » dans ce
modèle seraient contraints de passer par un tiers sécurisateur. Exercer ces
activités en appoint resterait donc possible, dans les conditions que nous
connaissons actuellement.
Pour les travailleurs des plateformes n’accédant pas encore
de façon obligatoire aux garanties du salariat par le recours à un tiers, des
dispositions minimales pourraient être ajoutées en matière de protection
sociale.
Ainsi, en permettant aux travailleurs des plateformes d’accéder à cette « indépendance protégée », pourrait-on dès lors mettre en place ces dispositifs ?
Partons donc du postulat libre et assumé qu’une solution doit être trouvée, et que le portage salarial et la CAE sont seuls « de nature à satisfaire l’ensemble des objectifs poursuivis : extension des droits sociaux des travailleurs, préservation d’une autonomie d’exercice de l’activité, sécurisation des relations contractuelles. ».
Mais vouloir n’est pas toujours pouvoir….
Pour le portage salarial, le problème est simple : en l’état du droit, la proposition du rapport est tout bonnement impossible à mettre en place.
Cela nécessite en effet une intervention législative, notamment pour résoudre les questions d’accessibilité au dispositif : on pense ici aux fameux critères posés par l’ordonnance de 2015 et précisés dans la convention collective de 2017 (rémunération, expertise, qualification et autonomie) mais aussi à son exclusion de certains champ d’activités comme celui du service à la personne. On constatera que la livraison des repas à domicile fait partie de cette liste par exemple…
Si le dispositif de la CAE est quant à lui mobilisable immédiatement d’un point de vue juridique, sa mise en œuvre (notamment les questions de gouvernance et d’association obligatoire) et sa philosophie même ne sont pas forcément en adéquation avec les enjeux en présence.
La Confédération générale des SCOP a d’ailleurs réagi en ce sens dans son communiqué de presse du 8 décembre
Mais ils (ndlr : les travailleurs des plateformes) resteront tout autant soumis aux conditions de travail et de rémunération inacceptables imposées par les donneurs d’ordre. Les CAE considérées comme des tiers auront à gérer ces dérives sans disposer d’aucun moyen d’y remédier. La CAE peut être une solution à condition d’être gouvernée par ses travailleurs et d’assumer ses missions d’hébergement d’activité et d’accompagnement.
Une réaction qui contraste avec celle du PEPS, organisation patronale représentative du portage salarial, qui a quant à lui plutôt bien accueilli la nouvelle comme on peut le constater dans son communiqué de presse du 18 janvier 2021 :
Conscient des enjeux économiques des travailleurs des plateformes, le PEPS est prêt à travailler avec l’ensemble des acteurs : pouvoirs publics, organisations syndicales, entreprises de plateformes numériques pour réfléchir ensemble à un modèle efficace et bénéfique pour chacun !
Deux modèles passionnants, deux philosophies radicalement différentes, et tout autant respectables, l’un malheureusement encore « bridé » juridiquement, mais qui partage une interrogation commune : économiquement, ça marche ?
Le problème est simple comme de l’eau de roche : la
protection sociale a un coût qui sera répercuté sur ce que gagnent les
chauffeurs et les livreurs, coût auquel va s’ajouter les frais de gestion
des tiers sécurisateurs.
Si le rapport écarte, peut-être un peu rapidement, la
question du coût de la protection sociale (les travailleurs des plateformes en
tirant un bénéfice sur le moyen/long terme), pour la seconde des solutions sont
envisagées.
Il faut bien comprendre que ces pistes d’abaissement des
coûts sont des corollaires à la proposition : en d’autres termes,
si ces systèmes de compensation ne sont pas mis en place, la proposition tombe
à notre sens à l’eau faute de viabilité économique.
Ainsi, toutes les mesures visant à maîtriser cette perte
sont essentielles, en voici quelques-unes proposées par le rapport :
On le comprendra, la route est encore longue et semée d’embûches… Pendant que la Direction générale des entreprises s’interroge encore sur la possibilité de donner une nouvelle définition aux travailleurs des plateformes, en reprenant les propositions de l’annexe 4 du rapport (qui l’a pourtant écartée), on peut regretter, comme le propose les organisations patronales du secteur, de ne pas tenter l’expérience, en se mettant autour de la table pour mettre en œuvre ces solutions qui ont déjà fait leurs preuves.
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