Search picto Magnify Search picto Close

Le portage salarial est-il la solution pour les travailleurs des plateformes ? Partie 1

27/01/2021

Les conclusions tant attendues du rapport FROUIN concernant les travailleurs des plateformes sont enfin tombées : le portage salarial et les coopératives d’activité et d’emploi seraient, selon les auteurs du rapport, les véhicules juridiques idéaux pour ces travailleurs d’un nouveau genre. L’équipe du Guide vous livre son analyse du rapport en deux parties !

Nous avons beaucoup
écrit
sur les travailleurs des plateformes en 2020, l’actualité a en effet
été riche et passionnante sur le sujet, entre les différentes missions
commanditées par le gouvernement, l’arrêt de la Cour de cassation du mois de
mars qui est venu ébranler le modèle économique des plateformes et même
l’actualité internationale, notamment en Californie. Sujet passionnant donc,
d’autant que ce qui se limite aujourd’hui aux plateformes dites de mobilité,
tenues à une responsabilité sociale, est à même de se généraliser dans les années
à venir à de nombreux secteurs d’activité.

C’est donc en toute logique que nous avons pris le temps de
lire avec attention le rapport FROUIN. Ses conclusions vont dans un sens qui en
a surpris plus d’un, nous un peu moins, à savoir proposer comme solution à l’épineux
problème du statut des travailleurs des plateformes le portage salarial et la
coopérative d’activité et d’emploi !

Disons-le tout de suite, nous avons adoré l’ensemble du rapport
et la qualité du travail effectué, mais nous n’allons volontairement pas
traiter la partie dialogue social, qui, bien que passionnante, est un sujet à
part entière. On notera d’ailleurs qu’un nouveau groupe de travail a été
missionné par le gouvernement pour parachever le travail déjà commencé (et bien
avancé) de la mission FROUIN sur le sujet.

Nous vous proposons donc un décryptage maison du rapport en
deux parties (cela méritait au moins cela), avec les solutions exclues dans la
première et les solutions retenues pour la seconde, en vous les détaillant dans
le menu !

Les solutions exclues du rapport FROUIN : le
salariat, le tiers-statut et le statu quo

Pour bien comprendre ce qui a conduit Jean-Yves FROUIN sur
la voie du « tiers sécurisateur » et donc naturellement vers le
portage salarial et la coopérative d’activité, il nous a semblé important
d’analyser les solutions qui s’offraient en réalité à lui.

Rappelons tout d’abord quelle était la commande du
gouvernement donnée à la seconde mission FROUIN. Outre la question du dialogue
social, il revenait à la mission de « définir les voies et moyens
permettant de sécuriser juridiquement les relations contractuelles (…) conclus
entre les plateformes et ces travailleurs et d’identifier les pistes permettant
de renforcer le socle de droits dont bénéficient les travailleurs des
plateformes, sans remettre en cause la flexibilité apportée par le statut
d’indépendant
 ».

En d’autres termes, la commande du gouvernement était de
trouver une solution juridique pour à la fois protéger et renforcer les droits les
travailleurs des plateformes numériques définis dans le cadre de la loi d’orientation
des mobilités (LOM), tout en préservant le modèle économique des plateformes, en
limitant (ou supprimant
comme le voulait le gouvernement avec les chartes) le
contentieux relatif à la requalification contractuelle
 ! De fait était
exclue dans la lettre de mission la possibilité de suivre la position de la
Cour de cassation en laissant lesdits travailleurs devenir des salariés des
plateformes
.

La solution du salariat pour les travailleurs des
plateformes : une hypothèse écartée de fait

La décision de la Cour de cassation du 4 mars 2020 dont nous avons parlé en introduction a eu
un effet salvateur : pousser le gouvernement à s’occuper (une fois pour
toute) de la situation complexe des travailleurs des plateformes. Alors que la
Haute Juridiction donne tous les arguments pour qualifier les chauffeurs VTC en
salariés, cette solution n’est pas du tout (mais alors pas du tout) souhaitée
par le gouvernement, ni forcément en adéquation avec les enjeux en présence.

Autres arguments que la volonté farouche du
gouvernement de ne pas considérer les travailleurs des plateformes comme
salariés ? Eh bien les plateformes arguent par exemple que leurs
travailleurs souhaitent rester indépendants, résultats de sondages à l’appui !
Certes, elles organisent elles-mêmes les sondages me direz-vous…

Plus sérieusement, le rapport évoque d’autres
arguments pour écarter le salariat.

Le rapport relève ainsi
que « tous les travailleurs des plateformes ne sont pas placés dans la
même situation de « dépendance économique » à l’égard des plateformes, certains
de ces travailleurs ne relevant guère d’une qualification de salarié. Il
conviendrait donc en toute hypothèse de distinguer selon les plateformes et
selon les travailleurs. »

On notera en effet
que pour de nombreux chauffeurs ou livreurs, il s’agit d’une activité
secondaire, et que pour beaucoup également il est plus simple d’accéder à cette
activité sous la forme de la micro-entreprise plutôt que de passer par un
recrutement traditionnel au vu des « difficultés d’accès à
l’emploi »
qu’ils peuvent connaître par ailleurs.

Mais au-delà de la
question du bien-fondé de ces arguments, encore une fois, ne nous y trompons
pas, la commande du gouvernement ne permettait pas de généraliser le salariat
pour ce type de travailleurs.

La
solution du tiers statut : non, de chez non !

La question du troisième statut n’est pas nouvelle et s’est
réinvitée avec force dans le débat public à la suite de l’arrêt de la Cour de
cassation du 4 mars dernier.

Le rapport pointe avec justesse d’une part les risques
d’insécurité juridique
induits par la création d’un troisième statut qui reviendrait
à « remplacer une frontière floue par deux frontières qui le seraient
tout autant »,
qui risquerait mécaniquement d’augmenter le contentieux
de la requalification, alors que l’objectif était de le limiter…

D’autre part, « au lieu de servir l’objectif
d’étendre les réglementations protectrices au plus grand nombre, ce statut
créerait un nivellement par le bas »
avec en effet l’apparition d’un
risque de concurrence déloyale et de dumping social entre indépendants soumis à
des régimes différents
, exerçant pourtant des activités similaires dans des
conditions sensiblement identiques.

Et le rapport d’ajouter que « le tiers statut ne
résout en rien la question statutaire, puisque les pays l’ayant adopté, comme
l’Espagne et l’Italie, cherchent à nouveau un statut juridique spécifique,
adapté aux travailleurs des plateformes » …
CQFD

Surcroît de contentieux, complexité juridique supplémentaire,
dumping social, on oublie…

La
solution du statu quo : oui, mais non !

Statu quo signifie rester en l’état où cela était
précédemment. On sent tout de suite la limite de l’exercice. Dans le cadre du
rapport, cela signifie toujours considérer les travailleurs des plateformes
comme des indépendants, comme c’est le cas aujourd’hui, mais trouver des
solutions pour limiter les risques de contentieux, tout en les protégeant
socialement par ailleurs
.

Deux options possibles de statu quo sont envisagées dans le
rapport : un statu quo (presque) « pur et
simple » et un statu quo avec une tentative de sécurisation juridique.

Un statu quo (presque) « pur
et simple » :

L’idée est ici, pour
le reprendre le rapport, de maintenir pour les travailleurs des plateformes
« un statut de travailleur indépendant mais en réalité intermédiaire doté
de certains des droits applicables aux salariés ».

On rappellera à
toutes fins utiles que ces travailleurs bénéficient déjà d’une réglementation
spécifique inscrite dans la septième partie du Code du travail qui s’intitule
« Dispositions particulières à certaines professions et
activités » : le chemin est donc déjà arpenté, il suffirait d’aller
au bout en quelque sorte.

L’hypothèse envisagée dans le rapport est donc de laisser la
situation en l’état, et de ne pas toucher à leur statut juridique (ou régime
pour les plus pointilleux), mais de renforcer leur protection sociale, par
exemple en les assimilant par la loi au régime général de la sécurité sociale.
Par ailleurs, grâce à la mise en place d’un « dialogue social »
adapté, leurs droits et protection seraient complétés, et l’on pourrait (peut-être)
en pratique limiter les contentieux !

Et c’est là, avec ce « peut-être », que le bât blesse,
car en effet, cette solution ne réglerait en rien les risques de saisine des
juges possibles en matière de requalification par les travailleurs vis-à-vis de
leurs plateformes.

Un statu quo avec tentative de sécurisation

La seconde hypothèse est de toujours considérer les
chauffeurs et autres livreurs comme des indépendants, mais en sécurisant
juridiquement cette notion, là encore pour éviter le contentieux de la requalification !
Cette sécurisation reviendrait à faire disparaître les indices d’un lien de
subordination en donnant une définition du travail indépendant
par exemple
en précisant des critères comme la constitution de leur propre clientèle, la
fixation de leurs tarifs et des conditions d’exécution de leur prestation. L’annexe
4 du rapport donne à cet égard un exemple de ce que pourrait donner la
rédaction d’une telle définition pour les travailleurs indépendants réalisant
leurs prestations pour certaines plateformes. En effet, aujourd’hui, un
travailleur indépendant se définit en creux, par opposition au salariat et à la
présence, ou non, des critères qui composent la subordination qui le
caractérise.

Mais encore une fois, une telle définition ne rendrait pas
inopérante la requalification demandée par les travailleurs des plateformes, ou
celle de n’importe quel indépendant par ailleurs, elle pourrait seulement «
limiter » les recours, si et seulement si les critères prédéfinis sont bien
respectés.

On ajoutera que la mise en place d’une présomption
irréfragable (c’est-à-dire incontestable devant le juge) de travail indépendant
est contraire à la Constitution… donc le juge pourra toujours être saisi (Et c’est
tant mieux !)

La conclusion du rapport n’est dès lors pas très surprenante,
« aucune de ces quatre solutions n’est réellement satisfaisante, ne
permettant pas tout à la fois de garantir les droits des travailleurs,
l’autonomie d’exercice et de sécuriser les relations contractuelles ».

Alors que d’autres le sont peut-être ?

Rendez-vous très vite pour la partie 2 !