28/01/2020
Alors que le Conseil constitutionnel a récemment remis en cause l’une des mesures les plus critiquées de la loi LOM qui visait à limiter le pouvoir du juge de requalifier en contrat de travail la relation entre un travailleur d’une plateforme et celle-ci, le gouvernement vient de nommer un groupe d’experts pour travailler sur la représentation collective de ces travailleurs. Un chantier d’envergure qui s’inscrit dans une année charnière pour ce modèle économique.
Ce n’est pas (encore) le nombre de travailleurs des plateformes qui fait aujourd’hui trembler le modèle social français, mais plutôt la crainte que demain, une relation entre un tiers intermédiaire déshumanisé, un travailleur souvent considéré comme précaire et un client final qui souhaite payer le moins cher possible, ne s’étende à plusieurs pans de notre économie.
Pour changer cette légitime appréhension, les gouvernements
successifs légifèrent sur ces travailleurs d’un nouveau genre depuis déjà
plusieurs années. Des rapports sortent régulièrement, les colloques et études
sur le sujet se multiplient, et des propositions émergent de toute part rendant
difficile l’accès à une information simple et claire.
La décision du gouvernement,
conformément à la loi LOM, de mettre en place un groupe d’experts qui va
travailler sur l’épineuse question de la représentation collective de ces
travailleurs pourrait bien modifier en profondeur le modèle économique
des plateformes pour les années à venir. Cette annonce tombe à point nommé
après le revers cuisant que vient de lui infliger le Conseil constitutionnel le
20 décembre dernier…
L'élaboration de la loi LOM, de nombreuses voix
se sont élevées pour dénoncer la charte unilatérale mise en place par le
gouvernement, et l’absence de réel dialogue entre ces travailleurs et les
plateformes qui les « embauchent ».
Nous
avions eu l’occasion d’expliquer qu’en effet la législation actuelle qui
permet à ces travailleurs de constituer un syndicat, pas plus que les dispositions
comprises dans la loi LOM, ne permettent à ces travailleurs de faire
entendre et valoir leurs droits en cas de désaccord avec une plateforme.
L’exemple de Deliveroo l’année dernière avait en cela été criant.
Force est de constater que le gouvernement a, au moins
partiellement, entendu l’appel à la raison de nombreux acteurs demandant une représentation
collective de ces travailleurs de l’ère digitale. La décision du Conseil constitutionnel du mois de décembre venant invalider
le principe de limitation du pouvoir de requalification du juge du contrat
de prestation de service de ces travailleurs en contrat de travail en se basant
sur les éléments contenus dans la fameuse charte unilatérale n’est
certainement pas étrangère à cette rapide et salutaire décision.
Et c’est là bien la moindre des choses !
Le législateur français, à contre-courant d’autre Etats, a fait
le choix politique fort de consacrer le statut de non salarié de ces travailleurs,
en voulant même limiter leur possibilité d’y accéder.
Des propositions alternatives sont pourtant avancées,
par la fondation Jean-Jaurès récemment, ou encore le CESE en 2017 : ces travailleurs pourraient par exemple se constituer en
coopérative d’activité et d’emploi . Grâce au récent régime d’entrepreneur
salarié, ces travailleurs bénéficieraient à la fois de la protection
sociale du salariat mais aussi une représentation collective plus forte et
structurée. Si certains députés et sénateurs vont également
dans ce sens, tout porte à
croire que le gouvernement ne privilégiera pas cette option. On notera que dans
certains pays, cette solution n’a pas fonctionné sur le long
terme, même si l’idée de
départ est séduisante en théorie…
C’est la raison pour laquelle, au-delà de tout débat
d’opinion, si le gouvernement veut que ces travailleurs d’un nouveau genre
soient et restent des indépendants, il semble impératif de leur accorder un
minimum de droits, et seule une représentation légitime, dans ce contexte, semble
en mesure de leur donner les moyens de les faire valoir.
Chose promise, chose due ! En confiant « une
mission afin de définir les différents scénarios envisageables pour construire
un cadre permettant la représentation des travailleurs des plateformes
numériques », à Jean-Yves Frouin et une équipe d’experts, le gouvernement a tenu rapidement parole. Ce
groupe d’experts, mis en place depuis le 13 janvier, devra rendre sa copie
au mois de juillet 2020.
On notera que la lettre du Premier Ministre précise qu’il
existe un « besoin de régulation collective s’appuyant sur des interlocuteurs
légitimes de ces travailleurs », et ce dans le but de « construire
un dialogue avec les plateformes ou les représenter dans les concertations
organisées par les pouvoirs publics ». La charte unilatérale ne semble
plus un avoir un avenir radieux devant elle…
Et comme pour confirmer nos précédents propos, le Premier
Ministre est allé jusqu’à préciser que « les formes existantes de
représentation professionnelle des travailleurs indépendants ne paraissent
pas en mesure non plus de répondre à l’ensemble [des] besoins ». CQFD.
Entre autres chantier d’envergures, ce groupe d’experts aura
pour mission de déterminer le champ des travailleurs à prendre en
compte, les secteurs d’activité à couvrir, ou encore les mécanismes
de participation pouvant être mis en place, ainsi que les moyens permettant
de faire émerger des représentants légitimes qui puissent exercer leur
mission.
Vaste programme…
Espérons que le groupe d’experts, qui aura donc du pain sur
la planche au vu de la complexité des débats juridiques, économiques et sociaux
à venir, se saisisse de cette extraordinaire opportunité pour traiter le sujet
dans toute sa globalité.
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