Charte de responsabilité sociale des plateformes numériques : mesure utile ou futile ?

19/11/2020

Après des mois de débats, le décret permettant la mise en place officielle des chartes de responsabilité sociale par les plateformes du secteur des transports (principalement les plateformes VTC et les plateformes de livraison) vient de paraître. Le guide revient pour vous sur son contenu et sur les enjeux autour de ces chartes unilatérales.

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C’est un sujet qui passionne l’équipe du Guide depuis plus d’un an, et non sans raison au vu des incroyables rebondissements que nous avons encore vécus ces dernières semaines ! Succès aujourd’hui international, qui dépasse largement notre modeste hexagone, mais qui n’empêchera pas les Gaulois que nous sommes d’inventer notre propre fin à l’histoire…

Si vous n’avez pas suivi les derniers épisodes de cet haletant feuilleton des plateformes numériques, des chartes, et de la requalification de leurs travailleurs en salarié, vous trouverez votre bonheur en suivant les liens ci-après :

Si vous êtes déjà au fait du sujet, vous ne serez donc pas surpris d’apprendre qu’un décret est paru le 23 octobre dernier permettant la mise en place officielle des fameuses chartes (unilatérales) de responsabilité sociale des plateformes dans le secteur des transports uniquement (celles visées par la loi LOM).

Avant de vous expliquer le contenu précis de ce décret, au risque de le paraphraser quelque peu, nous allons rapidement revenir sur son utilité… déclarée.


La charte de responsabilité sociale des plateformes numériques : mesure utile ?

Pour faire simple, cette charte est censée apporter des droits et garanties supplémentaires aux travailleurs des plateformes et permettre par la même occasion de « sanctifier » nos amies les plateformes.

Comme notre ministre du Travail de l’Emploi et de l’Insertion, Elisabeth BORNE, l’a récemment déclaré « si elles sont (Ndlr : les plateformes numériques) un bon moyen d’accès à l’emploi, elles n’offrent pas encore suffisamment de protections aux chauffeurs qui cumulent les inconvénients du salariat et ceux du travailleur indépendant. Il est donc important d’accompagner le développement du secteur vers un modèle plus sain et de rééquilibrer les relations entre travailleurs et plateformes. » ; la charte est ainsi pour notre ministre « une première étape pour réguler les relations entre les plateformes et les travailleurs ». La deuxième étape étant les conclusions de la mission Frouin devant paraître dans les prochains jours !?

L’autre véritable objectif était d’éviter, rappelons-le, la requalification des chauffeurs et autres livreurs en salariés mais le Conseil constitutionnel a mis fin à ce doux rêve en considérant « que l’existence d’une charte de responsabilité sociale ne pouvait à elle seule faire échec à la requalification de la relation en contrat de travail ».

Si cet objectif principal ne peut plus être rempli, il restait donc à donner des gages de légitimité à ce document « unilatéral » en lui donnant par exemple le vernis de la concertation : et c’est là l’un des offices du décret qui vient de paraître…


Une charte en recherche de légitimité...

Le décret précise les modalités de dépôt et d’homologation de la charte auprès de l’administration. La plateforme pourra ainsi (et pas « devra » une fois encore) faire homologuer auprès de la direction générale du travail ladite charte si un certain nombre d’obligations sont respectées en termes de contenu. On notera avec intérêt que cette demande d'homologation devra être accompagnée d’éléments permettant d'attester du résultat de la consultation des travailleurs prévue à l'article L. 7342-9 du Code du travail, la consultation des travailleurs des plateformes pouvant être faite « par tout moyen ».

Bien sûr, devront être précisés dans la demande d’homologation le nombre de travailleurs consultés, combien se sont exprimés, ainsi que les modalités d'organisation et de déroulement de la consultation. Mais cela reste un pis-aller faute de mise en place d’un dialogue social digne de ce nom au sein des plateformes.


La Charte, mesure futile pour les travailleurs des plateformes ?

Néophytes comme spécialistes partagent aujourd’hui la même interrogation : mais à quoi sert désormais cette homologation, non obligatoire, puisqu’elle ne dédouane plus la plateforme de sa responsabilité en matière de requalification ?

C’était son principal objectif comme nous l’avons moult fois répété.

Juridiquement, elle ne peut plus, à elle seule, et en tant que telle, permettre d’écarter d’office la qualification d’employeur d’une plateforme. Mais si contentieux il y a, elle constituera un faisceau d’indices devant le juge, tendant à attester de l‘indépendance de ces travailleurs.

Ensuite, politiquement cette fois, et ce dans un contexte de débat national (et international) houleux sur la qualification d’indépendants ou de salariés de ces travailleurs, voire la création d’un statut dédié en France, les chartes permettront aux plateformes qui le souhaitent « de montrer patte blanche », ce qui ne manquera pas d’être repris par les défenseurs de ce modèle et risque de peser dans les débats parlementaires à venir.

En tout état de cause, la situation ne pourra pas rester en l’état très longtemps : entre les plateformes qui ne mettrons pas en place de charte, celles qui le feront mais sans homologation, et celles qui l’obtiendront de la direction générale du travail, l’instabilité juridique de ce modèle ne peut  être considérée aujourd’hui comme satisfaisante.


L’équipe du Guide