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Les Travailleurs des plateformes à la recherche d’un équilibre

08/03/2019

Évolution technologique et
modernité, consommation et pouvoir d’achat, protection et sécurité… Selon le
prisme choisi, que l’on se place en tant que travailleurs de ces plateformes ou
clients de celles-ci, nos avis (ou nos comportement) sur ce nouveau modèle
divergent, parfois au risque de frôler la contradiction.

Aubaine en termes de gain de
pouvoir d’achat pour le consommateur, précarité en termes de protection pour
les « travailleurs », difficile de dépasser cette apparente
antinomie, tant le premier semble souvent être la conséquence de l’autre.

Cette difficulté ne semble
avoir été dépassée par aucun pays, tous touchés par cette évolution
technologique
que rien ne semble pouvoir refreiner. Pourtant, en France,
législateurs et tribunaux ont le mérite de tenter de trouver des solutions qui,
si elles sont critiquables selon le
point de vue défendu, ont le mérite de faire bouger les lignes
.

Après une intervention du
législateur en 2016 avec la loi El Khomri qui a donné un premier cadre à ce
« nouveau mode de travail », la Cour de cassation a pris pour la
première fois position sur la qualification du lien entre un livreur avec une plateforme
numérique (voir arrêt n°1737 du 28 novembre 2018 de la cour de cassation).

Le législateur revient quant à
lui à la charge en 2019 avec des propositions ayant pour objectif affiché de favoriser
le développement de ce mode de relation de travail
.

Les conséquences de ces
nouvelles dispositions restent donc encore difficiles à évaluer.

Les plateformes et la Cour de cassation : la généralisation du
salariat ?

Le modèle des plateformes est
protéiforme, il est donc difficile de comparer leurs fonctionnements et d’en déduire
une règle commune. Pour celles jouant le rôle d’intermédiaire dans la mise en relation
entre un client et un indépendant, comme les livreurs ou les chauffeurs (UBER
pour la plus connue et « Take eat easy » pour l’affaire nous
concernant), la chambre sociale de la Cour de cassation a récemment donné son
point de vue sur la question, dans un cas précis, qui n’a pas manqué de créer
quelque remous.

Dans cette affaire, il était demandé
à la Cour de cassation de savoir si le livreur à vélo était en réalité
« un salarié déguisé » et pas un indépendant comme le laissait penser
la relation contractuelle entre les parties.

La Haute juridiction a, pour décider si le coursier était en
réalité un salarié, vérifié l’existence d’un lien de subordination
, lien
qui est l’essence même du salariat.

Pour cela, elle a repris la
définition qu’elle a elle-même posée du lien de subordination, à savoir :

  • L’exécution d’un travail sous l’autorité d’un
    employeur ;
  • Qui a le pouvoir de donner des ordres et des
    directives ;
  • Et de sanctionner les manquements de son
    subordonné.

On notera que la Cour d’appel
n’avait pas retenu l’existence de ce lien, dans la mesure où le livreur pouvait
notamment travailler pour d’autres plateformes, mais aussi fixer librement les
plages horaires pendant lesquelles il voulait travailler, voire ne pas
travailler du tout s’il le souhaitait.

La Cour de cassation n’a pas approuvé
cet avis, estimant que deux éléments caractérisaient l’existence d’un lien de
subordination.

Tout d’abord, le système de géolocalisation mis en place
par la plateforme
permettait un suivi en temps réel de l’activité du
livreur : connaître sa position ou déterminer le nombre de kilomètres
qu’il effectuait par jour.

Ensuite, et surtout, selon la Haute
juridiction, la plateforme disposait
d’un pouvoir de sanction à l’encontre du coursier
. Un mécanisme de contrôle,
appelé « strikes », permettait à la plateforme de lui imposer de
nombreuses consignes et en cas de non-respect de celles-ci de lui infliger des
pénalités.

La Cour a déduit de ces éléments
« l’existence d’un pouvoir de
direction et de contrôle de l’exécution de la prestation du livreur
caractérisant un lien de subordination et donc une relation de travail salariée »
.

Alors, cette décision va-t-elle entraîner la chute du modèle des plateformes
?

Non, le modèle des plateformes
n’est pas remis en cause. Non, la décision de la Cour de cassation ne va pas conduire
à une requalification de l’ensemble des travailleurs indépendants des
plateformes en salariés.

Cette décision va en revanche nécessiter
quelques ajustements, tant les conséquences de cette requalification peuvent
être lourdes en termes financiers pour lesdites plateformes (la requalification
concerne souvent plusieurs dizaines ou centaines de « travailleurs ») :
rattrapage de salaire, congés payés, mise en place des institutions
représentatives du personnel, travail dissimulé…

Les plateformes vont
certainement adapter leur mode de fonctionnement, en attendant il semblerait
que le législateur ait décidé de prendre les choses en main, une fois pour
toute ?

Les plateformes et la loi : vers une nouvelle forme de travailleur
indépendant ?

En 2016, la loi El Khomri a
posé les premières bases d’un « statut » de travailleurs des
plateformes.

Ces derniers étant micro-entrepreneurs
la plupart du temps, le législateur a souhaité pallier la précarité de ce
nouveau modèle de travail en posant les
bases de la responsabilité sociale des plateformes
, donnant ainsi des
droits, notamment collectifs, à ces « travailleurs ». Le législateur
à cette époque n’a pas donné de précision sur le statut de ces travailleurs, ni
établit de présomption de non-salariat pour ces derniers.

Le projet de loi d’orientation
des mobilités, déposé par le gouvernement le 26 novembre 2018, va plus loin en
proposant aux plateformes de mise en relation par voie électronique, la possibilité d’établir une « charte
précisant les contours de leur responsabilité sociale
, de manière à offrir
des droits sociaux supplémentaires aux travailleurs indépendants qui ont
recours à leurs services ». Cette charte, facultative, devra traiter d’au
moins huit thèmes précisés par la loi.

Les plateformes devront
publier ladite charte sur leur site internet et l’annexer à leurs contrats et
conditions générales d’utilisation.

L’existence
de cette charte et le respect de ces engagements ne pourront caractériser par
eux-mêmes l’existence d’un lien de subordination juridique
entre
les travailleurs et les plateformes.

Même
si sur le principe cela ne remet pas en cause le pouvoir souverain du juge de
requalifier une relation contractuelle en salariat, cela limite grandement son
pouvoir d’appréciation
. La charte pourra par exemple définir « les
conditions d’exercice de l’activité professionnelle des travailleurs avec
lesquels la plateforme est en relation (…) » ou encore « les
modalités de partage d’informations et de dialogue entre la plateforme et les
travailleurs sur les conditions d’exercice de leur activité professionnelle ».

En attendant de voir la
mouture finale du texte qui sera voté, il est permis de penser que les
travailleurs des plateformes vont relever d’une nouvelle catégorie d’indépendants,
avec des droits et devoirs propres aux modalités d’exercice atypiques de leur
activité. Une aubaine pour eux, ou pour les consommateurs et les plateformes
seulement ? L’avenir nous le dira rapidement…